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      correspondance 0192-copie-1 

    Avril 1999. Lettre de Sacha à sa sœur Sonia.  

    "Coucou Sonuchka,

    J’espère que tu vas bien. Je ne t’ai pas écrit depuis longtemps mais aujourd’hui je prends la plume car j’ai des choses à te dire. (Quand te décideras-tu enfin à utiliser internet, pour qu’on puisse communiquer plus facilement !)

    En premier lieu, je vais te demander de t’asseoir tranquillement (dans ton petit fauteuil rouge par exemple), et en second lieu de lire cette lettre dans son intégralité, sans te précipiter au bas de la feuille.

    Eh bien, je commence. Figure toi que la semaine dernière, je faisais la queue dans une pâtisserie du Marais, et devant moi se tenait une femme entre deux âges, je ne voyais que sa nuque, son chignon compliqué, son châle soyeux, et je me suis mise à penser à Maman. Je la revoyais préparant le thé dans la cuisine d’été, ou lisant à l’ombre des pommiers…

    Sentant peut-être l’intensité de mon regard, la dame se retourna un instant et je reconnus Olga, tu sais l’amie de Maman, plus précisément la tante de Nicky.

    La dernière fois que nous étions rencontrées j’avais treize ans, il me sembla donc qu’elle pourrait difficilement me reconnaître. Je décidai de lui parler à l’extérieur de la boutique et sortis immédiatement l’attendre sur le trottoir. Lorsqu’elle me vit, elle vint vers moi en hésitant un peu et me demanda :

     « N’êtes vous pas la fille aînée de Katia ? »

     Bon, j’abrège, Olga habite un peu plus loin, place Chaptal, un joli appartement avec vue sur la fontaine du square. Je me suis tout de suite sentie bien chez elle, j’avais l’impression d’être là-bas chez nous, dans la tranquillité du village à l’heure du dîner.

    Nous avons beaucoup parlé de toi et de Maman. Olga a appris que Papa s’est remarié, mais elle n’a plus de contact avec lui depuis longtemps. Et puis bien sûr, (je sais que tu t’impatientes), je lui ai demandé des nouvelles de Nicky.

    « Pauvre Nicholas, tu sais il est mort il y a cinq ans d’une crise cardiaque. Souviens-toi, quand vous l’avez connu, Sonia et toi, Nicholas était très fatigué après son opération et on l’avait envoyé en convalescence près de chez vous, à la campagne. Je l’ai tellement choyé, je l’adorais. »

     A ce moment-là Olga s’est mise à pleurer et j’avoue que j’ai eu du mal à retenir mes larmes.  Elle s’est ensuite levée pour aller chercher le carton à dessin de Nicky. Et là mon cœur s’est brisé. Tous ces dessins de toi Sonuchka ! En train de sourire, de lire, de faire du vélo… Il y avait aussi une très jolie esquisse montrant deux enfants couchés par terre côte à côte, regardant un ciel étoilé. Tout me revenait en mémoire par vagues, j’entendais vos voix, et celle de Maman et d’Olga vous grondant en Russe.

    J’ai ensuite appris que Nicky et Olga avaient quitté le village un an après notre départ, qu’ils étaient revenus vivre à Paris avec les parents de Nicky et sa petite sœur, qu’après le lycée Nicky avait étudié la peinture à l’école des Beaux Arts, puis la philosophie à la Sorbonne, qu’il avait, trois ans avant son décès, écrit un ouvrage sur la peinture métaphysique de De Chirico, ouvrage qui avait eu un certain succès, ce qui lui avait permis de cesser de travailler (il donnait des cours de peinture dans deux écoles d’art), et de voyager à travers l’Europe.

    Je sais que tu vas avoir beaucoup de peine Sonuchka, mais je devais te raconter tout ça. Je retournerai voir Olga dans quelque temps, nous pourrons parler de Nicky et de Maman, elle me manque tant.

    Je t’embrasse petite sœur, sois forte.

    Ta Sacha"

    

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  •   12-03-11 173414

    Février 1999. Lettre de Sonia à sa sœur Sacha.

    Sacha chérie,

    J’ai un peu tardé à te répondre car comme d’habitude, je ne savais pas comment te faire comprendre ce que je vis (du verbe VIVRE  évidemment !).

    A la maison, le quotidien est toujours chaotique. Philip me rend responsable de toutes ses rancoeurs et déceptions. J’ai essayé à maintes reprises de lui expliquer qu’il doit aller de l’avant et continuer à tenter de faire les meilleurs choix possibles dans l’existence, mais il refuse de faire face aux difficultés et préfère se dire qu’il n’a pas eu la chance qu’il méritait (!!), qu’il est « tombé » sur la mauvaise personne (moi) etc.…

    Vera se sent le devoir de protéger sa victime de père, et moi je m’évade mentalement de cette prison domestique.

    Il faut dire que je n’ai aucun mal à le faire puisque, comme je te l’ai expliqué dans ma dernière lettre, mon esprit est ailleurs…

    Tu es si rationnelle Sacha ! Comment veux-tu que je réponde à la question que tu me poses dans ta lettre : « existe-t-il  réellement un lien entre toi et cet homme ou s’agit-il d’une fixette à sens unique ? » 

    Bien sûr qu’il existe un lien entre cet homme et moi, mais pas au sens usuel du terme.

    Certes je le connais peu, mais j’en ai une représentation mentale assez riche, en esprit je le « vois » effectuer les gestes répétitifs du quotidien, j’imagine ce qu’il peut ressentir, je lui attribue certaines pensées…Ne me prends pas pour une folle Sacha, je l’ai bien observé et j’ai aussi l’occasion de parler de lui avec des connaissances communes.

    Je le regarde, je m’imprègne de son existence et pour le moment cela suffit à mon bonheur.

    Ce que je ressens pour lui est un trésor inestimable, j’ai la chance d’aimer, c’est fabuleux non ? Tout un univers s’ouvre devant moi, son monde à lui bien sûr, mais aussi la multitude des « possibles » que j’entrevois avec lui. Voilà en quoi consiste ce lien aujourd’hui. Il évoluera j’en suis certaine, mais je ne suis pas pressée. Je sais que tu ne me juges pas, mais j’espère que tu me comprends Sachoulia. Je me sens légère, heureuse, rajeunie. Je pourrais te  parler de moi, de lui, pendant des heures, t’écrire une lettre d’une centaine de feuillets…

    Mais je ne voudrais pas te lasser, alors je vais (à regret) changer de sujet.

    Tu souhaites savoir ce que m’évoque le rêve que tu m’as relaté dans ta lettre.

    Eh bien, l’invitation du châtelain laisse supposer que tu souhaites être protégée. Les détails de la pièce me semblent faire référence à la religion et à l’Orient (arabesques, couleurs vert et or, tapis et hommes déchaussés, mais aussi mains jointes et dojo). Je ne sais pas comment interpréter ton souhait de faire une photo de la pièce (me vient toutefois à l’esprit le mot « cliché »). Et enfin cette attitude triviale et inattendue du châtelain peut signifier que tu as peur de ne pas obtenir la protection souhaitée, ou bien que tu crains d’avoir à payer le prix fort pour cette protection.

    J’espère que ce petit décodage te permettra de voir plus clair en toi.

    Voilà ma Sachoulenka, l’hiver n’en a plus pour longtemps mais il commence à faire frais sur ce banc malgré un soleil pâlichon. Je vais rentrer prendre un thé accompagné de ces petits biscuits caramélisés que Maman aimait tant.

    Je t’embrasse très fort et espère avoir vite de tes nouvelles.

    Ta Sonia


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    Janvier 1999. Lettre de Sacha à sa sœur Sonia.

    "Coucou Sonuchka,

    Je viens de passer quelques jours en Provence chez Fanfan pour me ressourcer…et je rentre crevée !  Il a d’abord plu pendant trois jours, puis le mistral s’est déchaîné. On a essayé de jouer au tennis mais avec ce vent terrible la balle changeait de trajectoire et on a même dû servir « à la cuillère » ; remarque, on a bien ri.

    Bon, me voici de retour, et je lis ta lettre. J’avoue que je suis perplexe sœurette. D’une part je suis peinée d’apprendre tes difficultés familiales et d’autre part je ne sais que penser de cette  relation.

    Parlons clairement Sonuchka, existe-t-il  réellement un lien entre toi et cet homme ou s’agit-il d’une fixette à sens unique ? Tu sembles le connaître à  peine et il a transformé ton existence.  Peux-tu m’en dire plus ? Je te promets que je répondrai à ta question dès que tu m’auras donné quelques précisions, voire quelques indices…

    A mon tour je vais solliciter ton avis Sonuchka.  J’ai fait la nuit dernière un rêve qui m’a laissé une forte impression. Le voici en détails :

    J’étais invitée avec mari et enfants à une réception dans un château chez des gens sympas et absolument pas guindés. Le châtelain (un homme jeune aux cheveux bruns et au nez cassé) me dit qu’il veut me faire une surprise et me propose de voir « sa pièce ». J’accepte et nous entrons dans un dojo où domine sur le tapis et sur les murs la couleur verte (plutôt foncée), sur laquelle se détachent des espèces d’arabesques dorées. Au bord du tapis se trouvent des hommes assez âgés et déchaussés. Je me déchausse moi aussi et fais un salut avant d’avancer sur le tapis (dans le rêve je ne salue pas comme on doit le faire dans un dojo, mais avec les mains jointes, à la manière des yogis). Je reviens vers le châtelain et lui demande s’il m’autorise à prendre une photo de « sa pièce ». Il me répond : « Venez m’y retrouver cette nuit ». Je souris et fais non de la tête mais dans mon for intérieur,  je suis très déçue de cette attitude triviale.

    Voilà ma petite Sonuchka, je compte sur toi pour décoder tout ça.

    Je vais te laisser maintenant, écris-moi vite, je t’embrasse très fort.

    Sacha"


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  • 19-01-10_171206.jpg

    Nous sommes en décembre 1998. Voici la lettre qu’Alexandra (dite Sacha) vient de recevoir de sa jeune sœur Sonia (Sonia vit à l’étranger depuis de nombreuses années).

    « Ma Sacha chérie,

    Depuis une semaine, j’essaie de me motiver pour te téléphoner mais je n‘y arrive pas.Voici en quelques lignes ce qui m’amène à t’écrire aujourd’hui (mon dieu, quel ton formel entre soeurs! enfin l’essentiel est que j’arrive à te parler) :

    Figure-toi que je ne me reconnais plus, littéralement ! Je me regarde dans la glace et je vois une étrangère avec des yeux fiévreux et un sourire bizarre.

    J’aurais tant de raisons de me sentir malheureuse, mais non, je suis parfaitement heureuse, confiante en l’avenir, voire même exaltée...

    Toi et moi  parlons souvent de mes conditions de travail difficiles, mais n’évoquons quasiment jamais ma vie de famille. Eh bien elle est désastreuse. Non seulement mon mariage est devenu un enfermement au quotidien avec un Philip jaloux, aigri et menaçant, mais surtout notre fille ne me parle plus du tout. Je t’ai déjà fait part de son caractère taciturne, mais là je constate un crescendo. Je crois qu’elle me tient pour responsable du mal-être de son père. Peut-être en suis-je d’ailleurs à l’origine, mais elle suit malheureusement l’exemple de son père qui recherche systématiquement « le fautif », comme si l’humanité était scindée en deux catégories exclusives : les coupables et leurs victimes. Tu vois, je suppose que je devrais être peinée de l’attitude de Vera. Pourtant je m’en sens détachée, comme si j’étais étrangère à cette famille, à cette vie étriquée.

    Et  pire encore, depuis peu je me sens heureuse, réconciliée avec l’existence. J’apprécie à nouveau les petits bonheurs, la beauté de la nature, la musique et tous les arts, les sensations agréables, les conversations amicales, bref tout ce que tu sais toi apprécier depuis toujours…

    Bon Sacha, je vais cesser de tourner autour du pot. Voilà, je suis amoureuse, enfin je crois que je suis amoureuse, car je me rends compte que je connais très peu l’objet de ma…flamme (comment exprimer cela autrement?), et que je ne fais absolument rien pour connaître mieux cet homme, comme s’il était essentiel qu’il demeure pour moi un objet servant à nourrir mes fantasmes, et par là même un espoir, une ouverture vers un ailleurs (au sens large).

    Quelques mots prononcés par lui, son sourire, et même sa démarche de dos et de loin, remplissent de joie mon cœur et mon esprit.

    J’attends de lui…eh bien je n’attends de lui rien de spécial, seulement la possibilité de rêver à des lendemains qui chanteront forcément, à une existence idyllique et réconciliée avec toutes les forces contraires que je connais hélas trop bien.

    Je t’écris assise sur un banc, depuis cet endroit que j’aime tant, en haut de la falaise Rouge. L’océan scintille et le vent fouette mon visage et mes idées. Je sens mon cœur serré entre les mains chaudes d’un bonheur ardent.

    Alors, Sacha chérie, il me faut savoir : suis-je un monstre insensible au malheur de mes proches, suis-je un cœur d’artichaut aux pauvres rêves d’adolescente attardée, ou suis-je en train de basculer dans la folie ?

    Réponds-moi vite soeurette, je t’aime.

    Sonia »

     

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