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Marc Chagall (le cirque)
C’était à cet endroit précis, il y a quarante ans. On y avait monté un chapiteau sous lequel les spectateurs étaient assis autour de la piste, sur des chaises pliantes.
Je me suis retournée et Nicolas a incliné sa tête très légèrement vers la droite, fugacement, dans un mouvement d’une extrême vivacité bien que d’une très faible amplitude. Nos regards se sont croisés, le sien m’a brûlée et j’ai tourné la tête immédiatement, d’une façon désordonnée, presque paniquée. Et j’ai continué à sentir ce regard sur ma nuque, sur mes cheveux, jusqu’à la fin de la représentation.
Quel spectacle pouvaient donc offrir ce soir-là ces artistes de cirque itinérants ?
Je ne m’en souviens plus. Ce souvenir s’est enfui au profit du regard brûlant échangé avec Nicolas.
Je marche sur l’asphalte, je marche sur nos traces, Nicolas était vivant et maintenant seul le petit garçon vit encore en moi. L’ombre des platanes, je marche sur nos pas, la cloche de l’église, le temps n’existe pas.
Le bonheur d’être amoureux, le bonheur de l’attente amoureuse, une vie remplie grâce à un geste, un sourire. Avant tu n’étais pas là, puis un jour tu fus là, et puis…je ne sais plus.
J’ai déménagé avec ma famille, comment ai-je pu cesser ainsi de me préoccuper de toi ? Je ne comprends pas, je ne me comprends pas.
Me tenir ici me fait mal, me fait du mal.
Comment t’étais-tu rendu au cirque ce soir-là Nicolas ? A pied, toi qui habitais un hameau éloigné ? Je n’arrive pas à t’imaginer entouré d’une famille. Peut-être t’avait-on laissé là en pension, précieux cadeau encombrant des parents trop occupés? Je ne m’étais jamais posé la question. J’ai seulement le souvenir que tu vivais dans ce hameau, peut-être dans une de ces magnifiques maisons du 17ème siècle, protégées de la rue par de monumentales portes Navarraises en bois, tiens pourquoi pas dans celle qui figure sur nombre de cartes postales vantant l’architecture de la région ?
Je me souviens de toi à l’occasion de saynètes, tu apparais donc toujours dans ma mémoire isolé et sans ces contraintes triviales liées à la vie quotidienne.
Je continue à marcher de long en large sur l’asphalte dans un périmètre de quelques mètres, et deux ou trois personnes commencent à m’observer depuis la place un peu plus loin.
A bientôt Nicolas, je vais aller boire un petit café sur une terrasse, et rassurer les autochtones sur ma santé mentale. Tu sais, vivre avec les morts nécessite une certaine habileté à feindre, à dissimuler…
Le café est délicieux et je peux à nouveau respirer librement, l’étau autour de mon cœur s’est desserré...
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